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Lorsque leur enfant a mal au ventre ou à la gorge, des millions de parents en Ukraine et en Russie savent vers qui se tourner: le pédiatre ukrainien Evguen Komarovsky.
L'auteur à succès et présentateur télé est depuis longtemps une référence sur l'art d'élever des enfants pour de nombreux parents dans les deux pays, désormais en guerre, et d'autres anciennes républiques soviétiques.
Evguen Komarovsky fournit à présent un autre type de conseils à ses millions d'abonnés sur les réseaux sociaux: comment fabriquer son propre lait infantile de A à Z, administrer les premiers secours, survivre à un tir de roquette ou prendre de l'iode en cas de contamination nucléaire.
"Pouvez-vous imaginer ce que ressent une mère quand son enfant est malade, sous perfusion, que des bombes explosent autour d'eux et qu'elle doit amener son enfant avec la perfusion dans un abri anti-aérien?" demande M. Komarovsky à l'AFP.
Le docteur de 61 ans aux cheveux poivre et sel et à l'épaisse moustache s'exprime lors d'un appel vidéo depuis un lieu non précisé en Ukraine, un drapeau ukrainien bleu et jaune flottant à l'arrière-plan.
- Lourd tribut -
Il témoigne, comme de nombreux médecins et parents en Ukraine, de l'horreur de la vie sous les bombardements, pointant le lourd tribut que l'offensive russe a infligé aux enfants ukrainiens.
Depuis le début de l'invasion par la Russie, il y a deux semaines, Evguen Komarovsky, qui a deux fils et trois petits-enfants, a lancé des appels poignants aux parents russes, les exhortant à manifester dans les rues contre la guerre.
"Ne donnez pas vos enfants", a-t-il écrit sur Instagram. "Et ne prenez pas les miens."
Au moins 71 enfants ont déjà été tués et plus d'une centaine ont été blessés dans ce conflit, selon les autorités ukrainiennes, le bombardement russe d'un hôpital pédiatrique mercredi dans la ville assiégée de Marioupol, à l'est de l'Ukraine, provoquant l'indignation à travers le monde.
Plus de 2,3 millions de personnes ont déjà fui les combats en Ukraine, dont nombre d'enfants, et des millions souffrent de traumatismes psychologiques.
"Aucun conflit entre des personnes, des pays, des hommes politiques ou des Etats ne devrait se régler par le bombardement de quartiers résidentiels", assène M. Komarovsky.
Une fillette de six ans, nommée Tanya, est morte de déshydratation cette semaine sous les décombres d'une maison détruite par des bombardements russes après le décès de sa mère, selon le maire de Marioupol.
- Accoucher sous les bombes -
"Si quelqu'un m'avait dit qu'au 21e siècle, pratiquement en plein milieu de l'Europe, nous verrions autant de douleur, je ne l'aurais pas cru", explique Serhii Tsemashko, docteur en chef à la maternité de l'hôpital n°6 à Kiev.
"Avant, quand une femme accouchait, il y avait des sourires et du bonheur, mais de nos jours la joie est diluée par la douleur, le chagrin et la peur", poursuit-il auprès de l'AFP, luttant contre les larmes.
De nombreuses patientes du docteur Tsemashko accouchent désormais au sous-sol de la clinique, tandis que la salle d'opération et tout son équipement ont été déplacés vers un endroit plus sûr à l'intérieur du bâtiment.
Le personnel de l'hôpital dort à la maternité de crainte de ne pouvoir retourner au travail et des bénévoles fournissent couches, lait infantile et nourriture pour les patientes.
Lorsque Polina Chechet a senti ses contractions débuter juste après le début de la guerre, elle a su qu'elle devait se rendre tout de suite dans un hôpital à Kiev depuis sa banlieue d'Irpin.
Elle avait besoin d'une césarienne en raison d'un problème de santé lui ayant laissé un usage limité de son bras et sa jambe droite.
Un sac avec quelques affaires dans la main, et serrant son ventre, la jeune femme de 29 ans a couru trois kilomètres jusqu'à la gare la plus proche avec sa soeur pour prendre le dernier train en direction de Kiev, des bombes explosant au loin.
Elle a réussi à rejoindre l'hôpital n°6 et a donné naissance le 25 février, au lendemain de l'invasion russe, à une petite fille en pleine santé, baptisée Elizaveta.
"Je n'ai pas pleuré quand je l'ai vue pour la première fois", raconte Polina Chechet à l'AFP. "Je pleure quand je vois à la télévision les villes bombardées, comment les gens sont réduits à néant. Pour quoi? Je ne veux pas ce genre d'avenir pour ma fille."
Selon Evguen Komarovsky, si la guerre prend fin rapidement, avec du temps et l'aide de professionnels de santé mentale, les enfants ukrainiens seront à même de guérir du traumatisme de la guerre.
"La médecine moderne sait comment soigner un enfant, comment lui redonner goût à la vie et le distraire", explique le pédiatre. "Ce qu'elle ne peut pas faire, c'est ressusciter un père mort au combat."
B.Brunner--NZN