Zürcher Nachrichten - En Russie, l’étrange cas de Mme Maïboroda

EUR -
AED 4.277806
AFN 80.948661
ALL 98.294608
AMD 446.821753
ANG 2.084391
AOA 1067.992822
ARS 1544.610026
AUD 1.786192
AWG 2.099299
AZN 1.971253
BAM 1.954214
BBD 2.354489
BDT 141.684995
BGN 1.953746
BHD 0.438979
BIF 3433.998986
BMD 1.16466
BND 1.496872
BOB 8.057425
BRL 6.307912
BSD 1.166044
BTN 102.00133
BWP 15.67714
BYN 3.849342
BYR 22827.329191
BZD 2.342379
CAD 1.600626
CDF 3365.866351
CHF 0.940254
CLF 0.028807
CLP 1130.104306
CNY 8.364006
CNH 8.368831
COP 4713.377614
CRC 590.315776
CUC 1.16466
CUP 30.863481
CVE 110.497034
CZK 24.470688
DJF 206.983591
DKK 7.463384
DOP 71.156877
DZD 151.158923
EGP 56.540614
ERN 17.469895
ETB 160.926868
FJD 2.624331
FKP 0.867109
GBP 0.867398
GEL 3.146431
GGP 0.867109
GHS 12.287578
GIP 0.867109
GMD 84.437037
GNF 10103.42251
GTQ 8.946661
GYD 243.969876
HKD 9.14252
HNL 30.688998
HRK 7.537326
HTG 153.024477
HUF 397.186157
IDR 18979.293699
ILS 4.00477
IMP 0.867109
INR 102.02989
IQD 1525.704145
IRR 49061.287863
ISK 142.799056
JEP 0.867109
JMD 186.705246
JOD 0.825767
JPY 171.610855
KES 150.479973
KGS 101.84952
KHR 4670.285396
KMF 491.66113
KPW 1048.259595
KRW 1617.630553
KWD 0.355815
KYD 0.971803
KZT 628.28463
LAK 25156.648719
LBP 104295.271981
LKR 350.582424
LRD 234.681695
LSL 20.696224
LTL 3.438937
LVL 0.704491
LYD 6.32992
MAD 10.554125
MDL 19.642887
MGA 5165.26546
MKD 61.52532
MMK 2445.025258
MNT 4171.340744
MOP 9.428366
MRU 46.456787
MUR 52.887662
MVR 17.937794
MWK 2022.433614
MXN 21.694872
MYR 4.932918
MZN 74.491341
NAD 20.695963
NGN 1782.267244
NIO 42.80155
NOK 11.929458
NPR 163.202129
NZD 1.954528
OMR 0.447808
PAB 1.166143
PEN 4.142112
PGK 4.822275
PHP 66.62897
PKR 329.075059
PLN 4.253752
PYG 8733.760878
QAR 4.239946
RON 5.070907
RSD 117.152983
RUB 92.304831
RWF 1678.856889
SAR 4.370787
SBD 9.570085
SCR 17.16667
SDG 699.382849
SEK 11.163332
SGD 1.495697
SHP 0.91524
SLE 26.926227
SLL 24422.335182
SOS 665.605797
SRD 43.231952
STD 24106.103371
STN 24.749018
SVC 10.203543
SYP 15143.242907
SZL 20.695606
THB 37.684934
TJS 10.902957
TMT 4.087955
TND 3.354802
TOP 2.727755
TRY 47.412462
TTD 7.902518
TWD 34.760461
TZS 2894.178796
UAH 48.328342
UGX 4162.621225
USD 1.16466
UYU 46.812003
UZS 14587.361929
VES 149.94731
VND 30540.287741
VUV 140.152984
WST 3.102843
XAF 655.419372
XAG 0.030508
XAU 0.000343
XCD 3.147551
XCG 2.101594
XDR 0.815376
XOF 658.624017
XPF 119.331742
YER 280.042245
ZAR 20.658209
ZMK 10483.331944
ZMW 27.029828
ZWL 375.019933
  • AEX

    8.5700

    892.51

    +0.97%

  • BEL20

    54.0200

    4711.34

    +1.16%

  • PX1

    74.0600

    7709.32

    +0.97%

  • ISEQ

    107.9000

    11466.16

    +0.95%

  • OSEBX

    -2.9200

    1621.7

    -0.18%

  • PSI20

    20.9000

    7762.45

    +0.27%

  • ENTEC

    -5.8300

    1416.23

    -0.41%

  • BIOTK

    -31.1700

    3182.54

    -0.97%

  • N150

    27.5300

    3698.77

    +0.75%

En Russie, l’étrange cas de Mme Maïboroda
En Russie, l’étrange cas de Mme Maïboroda / Photo: HANDOUT - HANDOUT/AFP

En Russie, l’étrange cas de Mme Maïboroda

La retraitée russe porte un col roulé rouge et une toque en fourrure. Elle écoute le verdict qui tombe, puis, raconte un témoin, comme frappée par les mots du juge, se met "à saigner du nez".

Taille du texte:

Ce 29 janvier 2024, Evguénia Maïboroda, alors âgée de 72 ans, est condamnée à cinq ans et demi de prison pour s'être opposée à l'invasion de l'Ukraine. Six ans plus tôt, elle soutenait Vladimir Poutine et l'annexion de la Crimée.

Sur une photo prise au tribunal de Chakhty, dans le sud-ouest de la Russie, elle est assise sur le banc des accusés, la main posée sur le coeur. Son regard, étrange, exprime la stupeur et une pointe de reproche.

Dans son affaire, elle a été accusée d'avoir partagé deux contenus illégaux sur les réseaux sociaux : l'un véhiculant "de fausses informations" sur l'armée russe, l'autre comportant un "appel public à commettre des activités extrémistes".

Pour cette raison, avant même le jugement, Mme Maïboroda, une ancienne employée d'une mine de charbon, avait été placée, le 28 avril 2023, sur la liste des personnes décrétées "terroristes et extrémistes" par la Fédération de Russie.

Comment une retraitée pro-Kremlin est-elle devenue une "terroriste" ?

En s'appuyant sur des documents, témoignages et un échange avec Mme Maïboroda depuis sa prison, l'AFP a reconstitué une histoire de résistance peu habituelle, remplie d'ambivalences qui éclairent la société russe.

- Pertes et solitude -

Evguénia Nikolaïevna Maïboroda est née le 10 juin 1951 à Kamenolomni, au sud de la ville de Chakhty, dans la région de Rostov, frontalière de l'Ukraine.

Elle rencontre son futur mari, Nikolaï Maïboroda, lors de leurs études dans un institut technique.

Le couple commence à travailler dans une mine de charbon près de Chakhty. Il est mineur dans une brigade réputée ; elle, opératrice dans la centrale électrique associée à l'exploitation. Ils ont un fils, Sergueï.

Les Maïboroda forment une famille idéale, les mineurs étant haut placés dans la hiérarchie soviétique. Ils profitent de privilèges, voyagent à travers le bloc communiste.

Quand l'URSS s'effondre, en 1991, ils subissent un déclassement économique, avec la suspension du versement des salaires, mais également symbolique car les valeurs qu'ils incarnaient sont remplacées par celles d'un capitalisme sauvage.

Le 31 août 1997, journée des mineurs, une date importante dans la mythologie soviétique, leur fils unique a un accident de voiture. Il meurt à 25 ans.

"On était à l'enterrement. Elle était dans un tel état qu'elle ne se rappelle plus de rien. Son fils était tout pour elle", commente Maria, une proche témoignant anonymement pour raison de sécurité.

En 2002, la mine ferme. Moins de dix ans plus tard, en 2011, son époux Nikolaï décède d'une maladie fulgurante.

- Amour de Poutine -

Mme Maïboroda se réfugie dans la religion et prend soin d'elle : sur les photos, elle est habillée élégamment avec toujours, sous les yeux, un fin trait de crayon noir.

"C'est une meneuse dans la vie. Elle est très dure à briser", énonce Maria.

Fin 2017, Evguénia Maïboroda découvre les réseaux sociaux et crée un compte sur VK (l'équivalent russe de Facebook). Sa page montre son évolution politique.

Pendant cinq ans, elle partage des centaines d'images de chats, de fleurs, des blagues, des messages religieux et nostalgiques de l'URSS... et des commentaires sur le pouvoir.

Entre mars et août 2018, elle publie une trentaine de photos avec des légendes qui présentent Vladimir Poutine comme un dirigeant merveilleux qui redonne sa grandeur au pays.

Sur l'une d'elles, Poutine dit à Donald Trump qu'il rendra la Crimée à l'Ukraine "si les Etats-Unis rendent le Texas au Mexique et l'Alaska à la Russie".

Sur une autre, l'ex-président ukrainien Petro Porochenko est qualifié de "débile".

Jusque-là, rien d'exceptionnel. Le discours de stabilité et de puissance retrouvée du poutinisme a séduit beaucoup de Russes meurtris par la crise des années 1990.

- Haine de Poutine -

Puis intervient la métamorphose.

A partir de l'été 2018, la Russie est touchée par des protestations contre la hausse brutale de l'âge du départ à la retraite. La grogne vient d'en bas et sort des cercles d'opposition des grandes villes.

"D'habitude, Vladimir Poutine se pose en arbitre, en garant des intérêts de la population, en grand chef populiste... Mais là, c'est la première fois où il prend la parole pour défendre une réforme, disons, antisociale", relève Karine Clément, spécialiste des mouvements sociaux russes.

Cet engagement fait chuter la popularité du président mais aucune manifestation massive n'a lieu.

Fin 2018, la tonalité des messages politiques d'Evguénia Maïboroda change néanmoins complètement.

Elle partage des messages dénonçant la pauvreté en Russie, un pays pourtant très riche en ressources naturelles, souligne-t-elle.

La journaliste Tatiana Vassiltchouk, du média indépendant Novaïa Gazeta, a effectué un reportage à Maïski, le village de Mme Maïboroda miné par le chômage et les problèmes de déchets.

"Le village se noie dans les décharges d'ordures", décrit-elle.

En 2020, Evguénia Maïboroda s'oppose à la révision constitutionnelle ayant permis au président de rester au pouvoir jusqu'en 2036.

"Non à un Poutine éternel, (...) non aux mensonges et à la corruption éternels", dit l'une de ses publications.

- Guerre -

Arrive l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022.

Sur son compte VK, Mme Maïboroda fustige l'agression. Et soutient le régiment ukrainien Azov, fondé par des militants d'extrême-droite dont des néo-nazis, qui jouit aujourd'hui d'une réputation héroïque pour ses faits d'armes, notamment sa résistance lors de la bataille de Marioupol.

En Russie, tout soutien aux forces ukrainiennes, surtout Azov qui a depuis élargi son recrutement, ou opposition publique au conflit est traqué par les services de sécurité qui ont ainsi écroué des centaines de personnes.

Mme Maïboroda est repérée. En février 2023, son domicile est perquisitionné. Elle reçoit une amende et une première courte peine d'emprisonnement. Une affaire criminelle est ouverte, menant à sa condamnation de janvier 2024.

Il lui est reproché d'avoir publié sur VK un message dénonçant les milliers de victimes du siège de la ville ukrainienne de Marioupol, au printemps 2022, mais aussi d'avoir partagé une perturbante vidéo.

Dans cette dernière, une fillette s'exprime devant un ordinateur dont l'écran affiche une croix gammée. Elle tient un couteau et appelle, en ukrainien, à égorger des Russes.

Ces images, publiées par un compte pro-Kremlin, alimentent le récit du pouvoir russe qui, du fait de l'admiration de certaines formations militaires en Ukraine pour les nationalistes ukrainiens ayant combattu l'URSS avec Hitler, dit mener une guerre contre des "néo-nazis".

Pour avoir repartagé cette vidéo, qui selon les services de sécurité ukrainiens (SBU) déforme la réalité et faisait partie "d'une campagne de propagande", Maïboroda se retrouve accusée de nazisme. "Elle ne défend pas cette idéologie", tranche une source proche du dossier, sous couvert d'anonymat.

Mme Maïboroda, qui a de la famille en Ukraine et s'y rendait régulièrement, a expliqué au tribunal qu'un de ses cousins avait été blessé, à l'été 2022, par un bombardement russe à Dnipro.

- "Brouillage" -

Selon sa proche, Maria, Mme Maïboroda n'a pas perçu le danger de son militantisme virtuel et s'est égarée "comme un agneau".

Mais sa politisation montre aussi une certaine lucidité.

"Il faut être très intelligent pour s'orienter dans la sphère publique russe”, note la sociologue Karine Clément.

Car, selon elle, le Kremlin entretient un "brouillage des consciences" à coups de paradoxes assumés et de désinformation qui, en plus des persécutions judiciaires, vise à décourager "la formation de mouvements politiques de masse".

Le récit présentant l'invasion de l'Ukraine comme "un combat contre le nazisme" dans un pays dirigé par un président d'origine juive, Volodymyr Zelensky, illustre cette stratégie du chaos, estime l'experte.

Le tumulte des années 1990, quand des oligarques présentaient leurs réformes ultralibérales comme des avancées vers la "démocratie", a aussi favorisé la confusion puis l'autoritarisme de M. Poutine, poursuit-elle.

Aujourd'hui, la sociologue associe le soutien de nombreux Russes à la guerre à une "soif de faire communauté" et voit Mme Maïboroda comme une personne sortie du lot pour avoir "une bonne image de soi".

L'affaire a eu un certain écho dans les médias et les ONG d'opposition en Russie et en exil. L’organisation Memorial l’a très vite reconnue "prisonnière politique" et des critiques du Kremlin ont estimé que son cas illustrait l'intensité croissante de la répression.

- "Tu ne tueras point" -

Contrairement à des milliers de prisonniers ukrainiens détenus au secret et torturés, Evguénia Maïboroda, en tant que citoyenne russe, a des conditions d'emprisonnement plutôt correctes.

Elle peut théoriquement recevoir des lettres, certes censurées par l'administration pénitentiaire, et passer, parfois, des appels téléphoniques.

Début juin, après six mois d'attente incertaine, elle a pu répondre à des questions de l'AFP lors d'un appel de 10 minutes enregistré par un intermédiaire, depuis sa prison dans la région de Rostov.

Ses proches la décrivaient au printemps comme déprimée et souffrante. Mais son ton, lors de cet appel, est étonnamment énergique pour une femme de 74 ans emprisonnée depuis un an et demi.

"Le plus dur pour moi, c'était la privation de liberté. C'est trèèès dur. Mais ma foi et mes prières m'ont aidée..", explique-t-elle, la voix hachée par la transmission téléphonique.

Mais pourquoi a-t-elle partagé cette vidéo d'une fillette, devant un emblème nazi, qui appelait à tuer des Russes ? "C'est arrivé par accident, c'était stupide", répond-elle.

Elle déclare exécrer "la haine", "les mensonges" et affirme que ses "vertus préférées" sont "l'amour et la joie de vivre".

Sur les raisons de son opposition à l'invasion de l'Ukraine, elle réplique : "Car je suis croyante. Tu ne tueras point. Et puis pourquoi ? Pourquoi tout ça ? Moi, je n'ai pas compris."

U.Ammann--NZN